Ma mère Pétronille dite Henriette JUSTE15 est née le 16 juillet 1902 à Barreau. Elle va donc à l’école d' Avensan.
Jeune fille, elle travaille la vigne avec sa mère Alice ABRIBAT31, alors que son père Emile30 est à la guerre de 1914-1918. Le travail est difficile pour les deux femmes, qui remplissent pourtant leur devoir avec courage et persévérence.
Mais quand Emile rentre à la fin de la Grande Guerre, la reconnaissance n'est pas au rendez-vous. En effet, il vend tout le vin que la famille a produit pendant son absence. Mais avec une ingratitude totale, il garde l’argent de la vente pour ses affaires personnelles, sans rien donner à Henriette ni à sa mère. Malgré le dur labeur dont elles se sont acquittées avec courage, les deux femmes ne touchent aucun revenu et connaissent alors la faim.
Sa signature :
Henriette JUSTE - en 1919
La famille
Je n'ai pas de détail sur la rencontre entre Henriette JUSTE15 et celui qui sera l'homme de sa vie. Elle a sans doute lieu quelque part entre Moulis et Avensan, les villages dont ils sont chacun natifs, et certainement pendant une fête de village, qui sont encore à l'époque l'occasion la plus conviviale pour faire connaissance entre jeunes gens.
C'est ainsi qu'à 18 ans, Henriette se marie avec Henri Goffre14 le 5 août 1920 à Moulis. Ils avaient auparavant passé un contrat de mariage devant Me FIGEROU, le notaire de Castelnau. Ils s'installent en premier lieu à Mauvesin, commune de Moulis pour y avoir leurs 2 premiers enfants. Devenant par la suite propriétaires à Barreau, commune d' Avensan, ils y déménagent en 1923, et c'est là qu'ils auront leurs 2 derniers :
Lydie, née le 2 mars 1921 à Moulis et décédée le 4 décembre 2003. Elle épouse René Roger PIAT (1922-1996), qui est employé de commerce, le 1er août 1942 à la mairie de Moulis. Puis Lydie part vivre avec son mari à Paris, dans le 13ème arrondissement, au n°1 de la rue Campo-Formio. Elle a une fille, Annie en 1943, mère de Cécile PHILIPPE (née le 6 juillet 1983). René PIAT est aussi un sportif ; à Paris, il joue au football dans le club du Red Star, car ses parents sont communistes. Puis, une fois installé dans le Médoc après son mariage, il continue de jouer au football dans l'équipe du C.A.S.O. (société de Construction Aéronautique du Sud-Ouest, à Cestas où il travaille). Puis il joue dans celle des Merles Blancs de Listrac, où son palmarès, sa carrure et sa grande gueule imposent le respect. Les rencontres sportives entre les Merles Blancs et les autres équipes médocaines finissent souvent en bagarres, et René montre aussi de grandes aptitudes dans le domaine du bourre-pif, ce qui a pour double effet de rétablir l'ordre et de mettre tout le monde d'accord.
Puis, suite à la donation du 3 octobre 1961, Lydie reçoit la propriété de Lacour-Bouqueyran, dans laquelle elle s'installe avec mari et enfant. René s'occupe alors de cultiver la vigne et de faire marcher la propriété. Tous les pieds de vigne se mettent à produire du raisin au pas cadencé.
Articles du journal "La Petite Gironde" concernant René PIAT : à gauche du 4 mai 1943, au milieu du 4 février 1944, à droite du 3 mars 1944.
Pierre dit Robert, né le 17 avril 1924 à Avensan, et décédé à Moulis le 24 août 1972 à 48 ans seulement. Une rumeur sur son père Henri raconte, en cette période troublée de la Seconde guerre mondiale, qu'il collabore avec les Allemands. Connaissant sa détermination à "tuer du Boche" pendant la Première guerre, il est presque certain que cette rumeur soit infondée. Mais face aux ragots persistants sur son père, Robert décide de s'engager dans l'armée française et de combattre l'ennemi germain. Il le fera en 1945 avec son beau-frère Henri PONTET6 , le mari d' Yvette7 .
Côté vie privée, il épouse d'abord Colette BERNADA le 31 décembre 1953 à Moulis, poussé par son père parce qu'elle est propriétaire de vignes ! C'est sans doute une bonne raison, mais manifestement pas suffisante puisqu' ils divorcent le 30 novembre 1960. Robert est d'abord propriétaire à Bouqueyran et employé de commerce. Puis il s'installe au Cap-Ferret, sur le bassin d'Arcachon. Il épouse Laurette Renée BERCU à La Teste le 12 octobre 1964 et a 2 filles : Béatrice et Carole.
Lucette, née le 11 janvier 1926 à Avensan et décédée le 24 novembre 2010 à Castelnau-de-Médoc.
Pendant la guerre, Lydie et Yvette étant déjà mariées, il ne restait plus que Lucette à la maison. Ce n’est pas la période la plus heureuse de sa vie, car il était courant en ce temps-là que les jeunes filles s’occupent du ménage et servent de bonnes dans leur propre famille. Il n’était pas rare qu’Henri batte Lucette quand le service ne lui convenait pas… Le 6 septembre 1947 à Listrac-Médoc, Lucette épouse Pierre Antony MARIAN, qui tient une boucherie au Cap Ferret, et va vivre sur le Bassin d’Arcachon, quartier Ferret-Océan, pour tenir le commerce avec son mari. Elle a 2 enfants, Denis et Hélène. Lucette divorcera le 20 novembre 1992, et se remariera le 9 février 1998 avec André Jean dit "Jeannot" BRUN.
Yvette, Lydie, Lucette et Robert GOFFRE - vers 1931
L'usine Clerc
Dans les années 1930, Henriette travaille comme ouvrière dans la manufacture de bonneterie Veuve CLERC & fils, qui est également située à Avensan, et où travaille également sa mère Alice. Cette usine fabrique des vêtements en maille de laine, de coton ou de soie (chaussettes, bas, jersey, pull,...). J'ai retrouvé dans les papiers un relevé de compte de la société concernant Henriette. La journée est payée entre 7,50 et 9 francs, mais le nombre de journées n'est pas le même suivant les mois. Par contre, avec ses 2 filles aînées Lydie et Yvette qui y travaillent également, elle peut acquérir des gilets et des pulls auprès de l'usine ; le prix des articles est bien sûr retenu sur le salaire.
Carte postale Bonneterie Veuve Clerc à Avensan - Les métiers à tisser
Henriette JUSTE - vers 1950
Transmission de l'héritage
En 1952, ses parents Emile JUSTE30 et Alice ABRIBAT31 font réaliser par un notaire le partage anticipé de leurs biens en faveur de leurs deux enfants, Henri JUSTE et elle-même. La part qui revient à Henriette est composée de la maison habitée par ses parents, située à Barreau et dont ils gardent néanmoins le droit d'usage, de parcelles situées à Avensan (aux lieux deBarreau, Monteredon, Les Lones, Saint-Genès), à Moulis (Garbejac, La Morère) et à Listrac (Mouchuguet, La Mouline, La Bécade).
Un petit rappel sur le changement de monnaie survenu en France le 1er janvier 1960. L'inflation galopante des années 1950 et la crise de trésorerie de l' Etat conduisent le général de GAULLE à vouloir réformer la structure économique du pays. Il est alors créé un franc lourd, ou "nouveau franc", qui vaut 100 francs d'avant, ou "anciens francs". Le prestige du franc est alors restauré sur le marché international. Dans notre récit, les montants sont donc donnés en nouveaux francs.
Après la mort de son mari, Henriette prend la décision de faire une donation-partage entre ses 4 enfants de l'ensemble de ses biens, ceux dont elle a hérité de ses parents et ceux acquis lors de son mariage avec Henri Goffre14 . Cette donation a lieu le 3 octobre 1961 devant le notaire de Castelnau, Me Jean DAVID. Elle comprend d'abord les biens acquis par Henriette et son mari, à savoir :
une parcelle de lande au lieu de Poutchey (Avensan), d'une contenance de 1 hectare 4 ares et 37 centiares (cadastrée section D, n°77)
une parcelle de bois taillis à Poutchey de 66 ares et 4 centiares (cadastrée D, n°74)
une parcelle de lande à Poutchey, de 2 hectares 76 ares et 40 centiares (D, n°75)
une parcelle de lande et semis de pins à Poutchey, de 56 ares et 50 centiares (D, n°81)
une parcelle de taillis à Poutchey de 1 hectare 43 ares et 21 centiares (D, n°82-83)
une parcelle triangulaire de taillis à Léogean (Avensan), de 20 ares et 16 centiares (D, n°87)
une parcelle de taillis à Léogean de 3 hectares 81 ares et 60 centiares (D, n°88)
une parcelle de taillis et semis de pins à Léogean, de 1 hectare 50 ares et 79 centiares (D, n°91)
une parcelle de pelouse à Léogean, de 58 ares et 46 centiares (D, n°1226)
une parcelle de taillis à Léogean, de 1 hectare 29 ares et 20 centiares (D, n°95)
une parcelle de taillis à Léogean, de 2 hectares 35 ares et 7 centiares (D, n°97)
une parcelle de taillis à Léogean, de 2 hectares 12 ares et 43 centiares (D, n°99)
une parcelle de taillis à Léogean, de 27 ares et 56 centiares (D, n°103)
une parcelle de lande à Léogean, de 1 hectare 6 ares et 74 centiares (D, n°111)
une parcelle de taillis et semis de pins à Poutchey, de 1 hectare 83 ares et 60 centiares (D, n°1001-1005)
une parcelle de taillis à Poutchey de 10 ares et 41 centiares (D, n°1007)
une parcelle de taillis à Poutchey de 41 ares et 34 centiares (D, n°1010)
une parcelle de lande à Poutchey de 20 ares et 70 centiares (D, n°1012)
une parcelle de taillis à Poutchey de 12 ares (D, n°1016)
une parcelle de taillis à Poutchey de 1 hectare 22 ares 40 centiares (D, n°1018)
une parcelle de lande à Poutchey de 8 ares et 48 centiares (D, n°1020)
une parcelle de lande, taillis et semis de pins à Poutchey, de 3 hectares 80 ares et 8 centiares (D, n°1022-1024)
une parcelle de taillis à Poutchey de 16 ares 41 centiares (D, n°1213)
une parcelle de taillis à Poutchey de 31 ares 73 centiares (D, n°1215)
une parcelle de lande et semis de pins à La Jeanne (Avensan), de 2 hectares 40 ares et 80 centiares (D, n°1130)
une parcelle de lande et semis de pins à La Gravette (Avensan), de 1 hectare 65 ares et 70 centiares (D, n°1136)
une parcelle de taillis au Marais (Avensan), de 36 ares et 4 centiares (D, n°1145)
une parcelle de taillis et semis de pins située Derrière le Bois, de 1 hectare 59 ares et 60 centiares (D, n°1150)
une parcelle de lande et semis de pins située Derrière le Bois, de 13 ares et 69 centiares (D, n°1152)
une parcelle de semis de pins située Derrière le Bois, de 30 ares et 56 centiares (D, n°1153)
une parcelle de lande située Derrière le Bois, de 14 ares et 17 centiares (D, n°1155)
une parcelle de pelouse et bois taillis située Derrière le Bois, de 1 hectare 45 ares et 14 centiares (D, n°1157-1158)
une parcelle de lande située Derrière le Bois, de 56 ares et 89 centiares (D, n°1161)
une parcelle de taillis au Brugat (Avensan), de 12 ares et 80 centiares (D, n°1166)
une parcelle de taillis au Brugat, de 12 ares et 69 centiares (D, n°1168)
une parcelle de semis de pins au Brugat, de 11 ares et 55 centiares (D, n°1170)
une parcelle de taillis au Brugat, de 3 ares et 30 centiares (D, n°1175)
une parcelle de taillis au Brugat, de 23 ares et 42 centiares (D, n°1178)
une parcelle de taillis au Brugat, de 1 hectare 8 ares et 45 centiares (D, n°1179)
une parcelle de semis de pins au Brugat, de 8 ares et 78 centiares (D, n°1181)
une parcelle de taillis et semis de pins à La Rouille du Prado (Avensan), de 49 ares et 35 centiares (D, n°1187)
une parcelle de semis de pins à La Rouille du Prado, de 21 ares et 28 centiares (D, n°1194)
une parcelle de lande et de pins au Moulin de Léogean, de 16 hectares 59 ares et 78 centiares (D, n°49)
une parcelle de lande et semis de pins à Léogean, de 22 hectares 54 ares et 89 centiares (D, n°1227-1228)
une parcelle de lande et semis de pins à Léogean, de 13 hectares 67 ares et 15 centiares (D, n°1229)
une vieille maison d'habitation à Léogean avec terrain en pelouse, de 52 ares et 32 centiares (D, n°93-1225)
une parcelle de lande à Lugath (Avensan), de 5 hectares 72 ares et 62 centiares (D, n°398)
une maison d'habitation à Bouqueyran (Moulis) avec rez-de-chaussée et premier étage composée de 6 pièces, de 1 are et 19 centiares (C, n°630)
un bâtiment comprenant écurie, étable, hangar, chai, cuvier et fournière à Bouqueyran, de 6 ares et 44 centiares (C, n°635)
une parcelle de prairie et jardin à Bouqueyran, de 29 ares et 87 centiares (C, n°633-634)
une parcelle de vigne et terre en friche à Bouqueyran, de 68 ares et 73 centiares (C, n°591-592)
une parcelle de vigne à Bouqueyran, de 11 ares et 11 centiares (C, n°590)
un emplacement à Bouqueyran, de 94 centiares (C, n°628)
un bâtiment en ruines, autrefois à usage de chai et cuvier, à Bouqueyran, de 3 ares et 88 centiares (C, n°632)
une parcelle de terre en friche à Bouqueyran, de 1 hectare 48 ares et 71 centiares (C, n°579-640)
une parcelle de friche à La Grave, de 81 ares et 68 centiares (C, n°2239)
un petit jardin à Barbat ou Casaillot (Listrac), de 3 ares et 93 centiares (E, n°1047)
Ces 57 parcelles de terre et de pins à Avensan, Moulis et Listrac qui sont acquises en commun par Henri Goffre14 et Henriette JUSTE15 ont une superficie totale de 101 hectares 73 ares et 13 centiares, soit un peu plus d' 1 km². Elles sont évaluées par le notaire à un total de 89 110 nouveaux francs (nous sommes en 1961 !).
Mais cette donation comprend également les biens propres d' Henriette, ceux dont elle a hérité de ses parents, c'est-à-dire :
la maison d'habitation à Barreau (Avensan), de 15 ares et 90 centiares (section A, n°2277-2278). Les parents d' Henriette, le couple JUSTE-ABRIBAT, en gardent cependant l'usufruit.
une parcelle de friche à Monteredon (Avensan), de 33 ares et 47 centiares (A, n°2922-477)
une parcelle de friche à Barreau (Avensan), de 17 ares et 85 centiares (E, n°772-773)
une parcelle de lande et semis de pins aux Lones (Avensan), de 1 hectare 19 ares et 55 centiares (D, n°270)
une parcelle de bois de pins à Saint-Genès (Avensan), de 40 ares et 7 centiares (E, n°1322)
une parcelle de terre en friche à Mouchuguet (Listrac), de 12 ares et 61 centiares (B, n°1889)
une parcelle de friche à Mouchuguet (Listrac), de 14 ares et 26 centiares (B, n°1914)
une parcelle de terre en friche à La Mouline ou Tal du Tit (Listrac), de 21 ares et 6 centiares (B, n°1380)
une parcelle de terre en friche à La Bécade ou Rastérieux (Listrac), de 10 ares et 38 centiares (C, n°2773)
une parcelle de terre en friche et bois taillis à Garbejac (Moulis), de 20 ares et 63 centiares (B, n°1777)
une parcelle de vigne en friche à La Morère (Moulis), de 32 ares et 48 centiares (B, n°1838)
une parcelle de terre et vigne à La Morère (Moulis), de 91 ares et 28 centiares (B, n°1834-1836)
une parcelle de vigne en friche à Garbéjac (Moulis), de 37 ares (B, n°1780-2926)
Ces 13 biens propres d' Henriette représentent une surface totale de 4 hectares 66 ares et 54 centiares, donc 46 654 m². Ils s'élèvent à la somme de 8 390 nouveaux francs. D'après le notaire, la valeur totale de tous ces biens se monte à 97 500 nouveaux francs pour une superficie de 1 063 967 m². Ne cherchez pas cet héritage aujourd'hui ! Il va de soi que depuis cette époque, la quasi-totalité de ces biens a été vendue.
La donation étant faite par parts égales entre les 4 enfants, il revient donc à chaque enfant la somme de 24 375 francs, nouveaux bien évidemment. Les enfants s'engagent de leur côté à lui laisser l'usage de la maison de Bouqueyran pour le reste de sa vie, la nourir, la chauffer, l'éclairer, bref l'entretenir et subvenir à tous ses besoins. Mais ils ont aussi, pour moitié avec Henriette, des obligations vis-à-vis de leurs grands-parents Emile JUSTE30 et Alice ABRIBAT31 : ils leurs doivent 8 stères de bois de chauffage sec, 8 hectolitres de vin de la propriété, 200 kilogrammes de pommes de terre, 20 kilogrammes de haricots secs, ainsi qu'une rente annuelle et viagère de 600 nouveaux francs. Les grands-parents JUSTE se réservent enfin la maison de Barreau pour leur usage personnel, là où ils ont toujours vécu.
Mamé Henriette - A gauche : en 1979 - A droite : en 1990
Puis Henriette habitera dans la commune de Lège, sur le bassin d'Arcachon, rue des Bouvreuils, pour se rapprocher de sa fille cadette Lucette qui est allée vivre au Cap Ferret avec son mari. Les enfants des enfants ont eu aussi des enfants, et pour la différencier des "mamies", les plus jeunes générations appellent cette arrière-grand-mère "mamé Henriette". Elle décède le 30 mars 1993 au Centre médico-chirurgical d'Arès, boulevard Javal, à l’âge de 90 ans.